La notion d’entreprise sociale semble avoir émergé à peu près en même temps, au début des années 90, dans deux contextes très différents, américain d’une part et italien d’autre part. Aux Etats-Unis, elle a trouvé un premier écho significatif au début des années 90 à travers des « business schools » prestigieuses comme celle de Harvard et à travers des fondations qui ont décidé de promouvoir la création d’entreprises sociales ou encore « l’entrepreneuriat social » individuel ou collectif. Mais outre Atlantique, l’expression est restée assez vague et désigne surtout des activités économiques marchandes mises au service d’un but social. L’enjeu est surtout de créer une source de recettes financières permettant de mener par ailleurs une action de type culturel, philanthropique, environnemental, etc.
En Italie, le Parlement a voté en 1991 une loi reconnaissant le statut de « coopérative sociale » qui a favorisé le développement d’une branche nouvelle du mouvement coopératif : actives dans les services sociaux et dans l’insertion par le travail de personnes marginalisées, les coopératives sociales italiennes se sont multipliées très rapidement et ont d’emblée suscité beaucoup d’intérêt à travers l’Europe. Ainsi, pressentant que des dynamiques du même genre apparaissaient dans leurs pays respectifs, des chercheurs des 15 pays alors membres de l’UE ont formé en 1996 un réseau de recherche sur l’émergence des entreprises sociales.
Comparant et analysant ces réalités dans toute l’Union, le Réseau Européen EMES a forgé une définition de l’entreprise sociale qui est aujourd’hui la plus répandue.
Pour attester la dimension économique et entrepreneuriale des initiatives, il retient quatre critères: une activité continue de production de biens et/ou de services ; un degré élevé d’autonomie ; un niveau significatif de prise de risque économique ; la présence d’au moins l’un ou l’autre emploi rémunéré.
Pour appréhender la dimension sociale de ces entreprises, cinq indicateurs sont privilégiés : un objectif explicite de service à la communauté ; une initiative émanant d’un groupe de citoyens ; un processus de décision non basé sur la propriété du capital ; une dynamique participative impliquant différentes parties concernées par l’activité (travailleurs rémunérés, usagers, bénévoles, pouvoirs publics locaux, etc); une distribution limitée des bénéfices.
Ces critères ou indicateurs montrent que l’entreprise sociale s’inscrit au cœur même de l’économie sociale et qu’on peut la regarder, dans bien des cas, comme un pont entre la tradition coopérative et le monde associatif dont elle combine certains traits. Il importe aussi de souligner que ces indicateurs ne forment pas un ensemble de conditions à remplir pour mériter l’appellation d’entreprise sociale. Ils permettent plutôt de situer une sorte de noyau, réel ou virtuel, dans la galaxie des entreprises sociales : celles-ci se présentent en effet sous des modèles très divers selon les régions et selon les secteurs. Ainsi, pour le seul champ de l’insertion par l’économique, le Réseau EMES a identifié une quarantaine de modèles d’entreprises sociales d’insertion dans 12 pays de l’Union Européenne.
A noter encore qu’au Royaume-Uni, le gouvernement de T. Blair a lancé en 2002 un programme de promotion des « social enterprises ». En dépit d’un succès certain du concept, il est sans doute encore trop tôt pour dire s’il s’agit d’un effet de mode ou si l’on assiste à la formation d’un ou plusieurs modèles spécifiquement britanniques d’entreprise sociales.
Liens :
- Site d’EMES : www.emes.net
Références :
- Borzaga, C., Defourny, J., eds, The Emergence of Social Enterprise, Routledge, London, 2001 (2nd edition in paperback, 2004)
- Nyssens, M., ed., Social Enterprises, at the Crossroads of Market, Public Policies and Civil Society, Routledge, London, 2006