Le développement local comme processus endogène
Dans les pays industrialisés, la notion de développement local est fondée sur l’émergence, dans les années 1950 et 1960, d’initiatives économiques dites « communautaires » (en anglais, community based organisations ou community enterprises), c’est-à-dire portées directement par les populations locales :
- On citera tout d’abord l’exemple bien connu du complexe coopératif de Mondragon au pays basque espagnol qui a été fondé en 1956 à partir de l’épargne et des compétences des habitants de la région.
- Mentionnons également les coopératives communautaires (community co-operatives) du Gaeltacht. Les habitants de ces régions particulièrement déshéritées de l’ouest de l’Irlande (chômage élevé, bas revenus, équipements collectifs et services sociaux peu développés) s’associèrent en 1965 pour tenter de mettre un terme au déclin économique du pays et à l’exode des jeunes. Plusieurs coopératives furent créées, qui entreprirent de développer l’infrastructure économique, sociale et culturelle tout en valorisant les terres agricoles. Une expérience similaire a débuté en 1977 dans les Western Isles ainsi que dans d’autres régions d’Ecosse. Des coopératives communautaires ont en effet permis de créer des emplois dans des domaines très divers (produits agricoles, commerces, services sociaux, transports,…). Dans certaines îles, il arrive que la grande majorité des habitants soient des coopérateurs qui participent par leur épargne et leur travail au développement du pays.
- Enfin, aux Etats-unis, le problème des ghettos dans les grandes villes a suscité vers la fin des années soixante la création de Community Development Corporations destiné à promouvoir un développement autocentré et à réduire la pauvreté dans les zones urbaines. En regroupant les capitaux locaux, ces organismes généralement issus de l’initiative privée ont permis le développement d’infrastructures et la création de petites entreprises locales.
Dans tous ces exemples, on est en présence d’un mode de développement local « endogène » ou « par le bas » (from below), c’est-à-dire basé sur des entreprises dont la propriété et la gestion relèvent des populations locales qui tentent, par ce biais, de prendre elles-mêmes en main leur devenir économique et de pallier les carences des modalités traditionnelles de création d’emplois au plan local. C’est en effet l’absence de réponse tant de la part des pouvoirs publics que du secteur privé face au sous-emploi et au sous-développement, qui a conduit ces populations vers la recherche d’une « troisième voie » de développement fondée sur les ressources locales. Notons que dès le départ, ce type de développement s’est spontanément démarqué d’une conception étroite de la croissance pour intégrer dans le processus toutes les dimensions du développement (dimensions sociales, culturelles et de formation, investissement dans les infrastructures locales,…)
Vers une approche intégrée du développement local
La crise économique (liée notamment aux chocs pétroliers) et l’accentuation des déséquilibres régionaux a suscité, à partir des années 1970, l’intérêt des pouvoirs publics pour les initiatives communautaires qu’ils ont cherché à encourager, notamment par la mise en oeuvre de programmes d’aides à l’emploi spécifiquement destinés à soutenir les initiatives locales, comme par exemple le programme d’initiatives locales au Canada (PIL – 1971) le Programme expérimental de créations d’emplois communautaires au Québec (PECEC – 1977), la mesure française des Emplois d’initiative locale (EIL – 1981), le Community Enterprise Programme (CEP – 1981) au Royaume-Uni,… En 1982, la Commission européenne et l’OCDE ont lancé un vaste programme de recherche sur le mode de développement à base communautaire. A cette occasion fut introduit les vocable d' »initiative locale d’emploi » (ILE) pour désigner les expériences des populations locales en matière de création d’emplois. Parmi ces initiatives, on appelle « agence de développement local » les nombreuses associations destinées à favoriser le développement économique de la région via l’animation, l’information, l’analyse des spécificités régionales, l’amélioration des structures d’accueil des entreprises, l’aide au lancement d’activités,… (on notera que le vocable « agence de développement local » (ADL) a été repris en 2004 par la Région wallonne pour désigner des ASBL ou des régies communales pouvant bénéficier d’un agrément en vue de stimuler le développement local).
Parallèlement à ces initiatives des pouvoirs publics, les théories du développement et de la croissance ont progressivement évolué dans le sens d’une plus grande intégration du territoire dans l’analyse, dont il résulte aujourd’hui une conception plus large du développement local. Si les premières initiatives portées par le habitants se développaient de manière autonome, dans un mouvement de contestation des politiques publiques en vue d’enrayer le déclin économique dans les régions en difficulté, les initiatives locales s’inscrivent depuis les années 1990 dans une dynamique de concertation avec les pouvoirs publics (Petrella, 2003). Dans ce contexte, le développement local n’est plus perçu comme démarche purement endogène initiée par le terrain, mais plutôt comme approche intégrant les dimensions locales, régionales et nationales[1]. Plus précisément, on distingue aujourd’hui dans le concept de développement local trois caractéristiques (Petrella, 2003) :
- une action territorialisée, agissant sur un territoire pertinent socialement et économiquement et où sont présentes les dimensions de proximité et de réciprocité;
- une action intégrée, qui réconcilie l’économique et le social et qui porte simultanément sur le développement des compétences de la population, sur la création d’emplois et sur la revitalisation sociale du milieu;
- une démarche partenariale, qui réunit le secteur public, le secteur privé classique et les associations dans une optique de coordination et de coopération, comportant également une volonté de participation démocratique.
En Belgique et en Wallonie en particulier, les politiques publiques s’inscrivent plus en plus la problématique du développement local. Les missions des CPAS, des régies de quartier, des agences de développement local (ADL), des Initiatives locales de développement de l’emploi (ILDE),… mais aussi les programmes liées aux Zones d’initiative protégée (ZIP) ou aux contrats de sécurité, en sont des exemples.
Développement local et économie sociale
La mise en avant de l’intérêt général, le souci de participation démocratique des populations ainsi que la préoccupation constante d’autonomie vis-à-vis des centres de décision extérieurs, sont autant de caractéristiques qui insèrent les premières initiatives communautaires dans la mouvance de l’économie sociale. En fait, le secteur de l’économie sociale est étroitement impliqué dans le processus de développement local. Dans une certaine mesure, on peut dire qu’il constitue même un moteur stratégique de développement local et territorial, de par sa capacité à susciter un développement endogène dans les zones rurales, à redynamiser des zones industrielles en déclin ou encore à réhabiliter des espaces dégradés (CIRIEC, 2003). Au nombre de ses atouts, on relèvera notamment sa logique de distribution des excédents (qui sont plus susceptibles d’être réinvesti dans le territoire qui les génère), sa proximité naturelle avec les besoins locaux et sa capacité à générer du « capital social » au plan local.
Publications :
- CIRIEC (2007), L’économie sociale dans l’Union européenne, Résumé du rapport d’information élaboré pour le Comité économique et social européen (CESE)
- Petrella, F. (2003), Une analyse institutionnelle des structures de propriété « multistakeholders ». Une application aux organisations de développement local, thèse de doctorat, UCL, Louvain-la-Neuve