Le concept de développement durable a émergé dans les années quatre-vingt à la suite d’une remise en question progressive du paradigme de la croissance. En effet, pendant longtemps, les économistes n’ont guère dissocié les termes de « croissance » et de « développement », la croissance de la production industrielle ayant largement contribué à l’élévation du bien-être de la population dans les pays dits industrialisés. C’est seulement depuis les années 1950 que les deux notions sont clairement distinguées : le développement est alors généralement entendu comme un processus qualitatif complexe d’amélioration du bien-être, tandis que la croissance est définie comme un indicateur quantitatif de performance économique, celle-ci étant appréhendée au travers de l’augmentation du produit intérieur du pays.
Cette distinction a pris tout son sens dans les années soixante et septante quand les vertus de la croissance ont commencé à être remises en question : ainsi, en 1970, le rapport Meadows au Club de Rome dénonce les impacts négatifs de l’industrialisation sur l’environnement (épuisement des ressources naturelles, dégradation du milieu naturel,…) et va jusqu’à prôner une « croissance zéro » pour mettre un terme à la surexploitation des ressources.
Parallèlement apparaît le concept d’écodéveloppement, défini lors de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement organisé à Stockholm en 1972. Il s’agit d’un modèle de développement économique basé sur une double nécessité : celle de promouvoir le développement des pays du Sud et celle de sauvegarder l’environnement. Sans remettre en cause la croissance en tant que telle, il cherche plutôt à l’inscrire dans un cadre prenant également en compte les contraintes environnementales. Pour I. Sachs (1980), faire de l’écodéveloppement, c’est « s’attacher à trouver des façons à la fois socialement utiles et écologiquement prudentes de la mise en valeur des ressources naturelles ».
L’approche du développement durable s’inscrit dans la ligne des travaux sur l’écodéveloppement : il est proposé en 1987 dans le « rapport Brundtland », rapport de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement (CMED) intitulé « Notre avenir à tous », qui va mettre l’exigence de durabilité sur l’agenda politique : en 1992, le développement durable est en effet l’un des thèmes majeurs de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement de Rio.
Qu’est-ce que le développement durable (en anglais, sustainable development)? C’est, selon le rapport Brundtland, « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs. Deux concepts sont inhérents à cette notion : le concept de » besoins « , et plus particulièrement des besoins essentiels des plus démunis, à qui il convient d’accorder la plus grande priorité, et l’idée des limitations que l’état de nos techniques et de notre organisation sociale impose sur la capacité de l’environnement à répondre aux besoins actuels et à venir ». Visant à concilier les contraintes économiques (production croissante et efficace de biens et de services), sociales (lutte contre la pauvreté, accès aux soins et à l’éducation, conditions de travail décentes,…) et environnementales (protection de la biosphère, exploitation prudente des ressources naturelles,…) des activités humaines, le développement durable est présenté comme un modèle visant à satisfaire tant les besoins des générations présentes que ceux des générations futures.
Sur un plan macroécononique, le développement durable reste toutefois une notion relativement imprécise, ce qui explique peut-être le fait qu’elle rallie de nombreux suffrages et tend à s’imposer comme le modèle de développement généralisable à l’échelon mondial. Il résulte de ce flou l’absence d’instruments de mesure du développement qui soient de nature à remplacer les instruments traditionnels (croissance du PIB,…). On note néanmoins l’émergence de nouveaux concepts tels que l’empreinte écologique, ou encorte les indices du développement humain élaborés notamment dans le cadre du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD).Sur le plan microéconomique, on peut voir dans la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) une tentative de celles-ci pour intégrer les préoccupations économiques, sociales et environnementales dans leurs activités, et partant pour s’inscrire dans une logique de développement durable. On notera que les entreprises d’économie sociale, parce qu’elles ne poursuivent pas un but lucratif mais plutôt une finalité de service à leurs membres ou à la collectivité, semblent à cet égard mieux placées que les entreprises traditionnelles.
En dépit de son succès, le modèle du développement durable suscite de nombreux débats, s’articulant pour l’essentiel autour de deux interrogations :
- Durabilité faible ou durabilité forte? Par durabilité faible, on entend une conception du développement durable où le capital naturel peut en soi être amputé à condition d’être remplacé par du capital technique ou immatériel (connaissances,…) fournissant un service similaire. Dans la conception de la durabilité forte par contre, une telle substitution n’est que rarement possible et il convient donc de maintenir constant le capital naturel en garantissant son renouvellement.
- Croissance ou décroissance? Certains considèrent que le développement durable n’est autre qu’une « croissance économique inscrite dans la durée » et relèvent la nature fondamentalement contradictoire de ce concept. Pour ceux en effet qui se qualifient eux-mêmes d' »objecteurs de croissance », plus de croissance économique implique nécessairement plus de pollution et d’atteinte à l’environnement. Pour permettre aux pays pauvres de la planète d’accéder aux biens matériels qui leur font défaut, la seule issue viable exigerait, pour les pays riches, d’admettre une décroissance de leur propre production matérielle. Ce résultat serait obtenu en substituant aux biens traditionnels de consommation ayant un impact écologique élevé des biens dits « relationnels », c’est-à-dire liés aux activités de rencontre entre les personnes.
Sites:
- Institut d’études économiques et sociales pour la décroissance soutenable : www.decroissance.org
Publications:
- Bernard, M., Cheynet, V., Clémentin, B. (éd.), Objectif Décroissance, Editions Parangon, 2003 CMED, Notre avenir à tous, Editions du Fleuve, Montréal, 1988 (« rapport Brundtland ») Meadows, D.H. et al., Halte à la croissance?, Fayard, Paris, 1972
- Sachs, I., Stratégies de l’écodéveloppement, Editions ouvrières, Paris, 1980